Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More
« La seule fonction de la prévision économique, c’est de rendre l’astrologie respectable », disait l’économiste Galbraith. Si on garde donc à l’esprit les précautions d’usage sur toute prévision économique, il est impératif de tirer toutes les leçons de l’année 2019 sur la scène économique afin d’en déduire les grandes lignes de 2020.
Cette année a été placée sous le signe d’un ralentissement mondial, puisque l’OCDE prévoit la plus faible croissance mondiale en dix ans. Cette croissance est encore tirée par les deux locomotives chinoise et américaine, qui inquiètent cependant tous les économistes du fait de leurs bulles spéculatives. L’Europe a flirté avec la récession dans son secteur manufacturier et son cœur industriel allemand en 2019 : l’Allemagne peine à s’en extraire, minée par les problèmes de l’industrie automobile et de sa conversion à la voiture électrique, alors même que la France est désormais proche du niveau de contraction industrielle (mesurée par l’indice Markit, un indice qui mesure l’activité industrielle). La situation est donc paradoxale sur le continent, avec un secteur manufacturier presque ou déjà en récession, et un secteur des services et de la consommation domestique qui est encore à plus de 1% de croissance. La relative bonne tenue de la France en 2019 (malgré de mauvais chiffres du chômage) s’explique d’abord par la faiblesse de notre secteur industriel, représentant 11% de notre PIB contre plus de 20% en Allemagne, mais aussi notre moindre participation à la croissance et à la création d’emplois dans la période d’expansion, d’où un phénomène de rattrapage de dernière minute ; en d’autres termes nous sommes en retard dans le cycle, les derniers en expansion, les derniers en récession.
Enfin les mesures de soutien domestique suite à la crise des gilets jaunes ont créé un stimulus fiscal à rebours de la politique d’austérité budgétaire promise par Macron. Si les puissances européennes industrielles vont être en récession ou proches de la récession durant toute l’année, la question demeure de savoir si la France ou l’Italie par exemple vont rester sur une simple tendance de croissance molle (1% pour la France de 2020 à 2022 dans la plupart des prévisions) ou connaître une récession. Il faut ici faire entrer en jeu la question de la politique monétaire et des banques centrales, qui permet à certains de dire : « il n’y aura pas de récession, car les banques centrales interviendront ».
Une récession peut survenir même avec des taux bas
L’événement le plus important en 2020 n’est pas ici à chercher du côté des politiques économiques gouvernementales, mais plutôt dans la redéfinition du rôle des banquiers centraux. Si l’idée de banques centrales indépendantes a longtemps prévalu, 2020 marquera le passage par Canossa des banques centrales. Aux États-Unis, Donald Trump a déjà oblitéré la trajectoire naturelle de remontée des taux : sous la contrainte, Powell les a abaissés en 2019. En Europe, Mme Lagarde, bien plus politique que ses prédécesseurs, maintiendra la politique de soutien monétaire et là aussi, en cas de ralentissement avéré, devrait utiliser les (maigres) marges de manœuvre à sa disposition en termes de taux négatifs et de QE (quantitative easing).
Or le modèle d’intervention classique des banques centrales est invalidé par la quasi-disparition de l’inflation et un régime quasi permanent de taux bas. Il ne signifie pas pour autant la fin des récessions, car une économie peut très bien connaître un ralentissement/récession avec des taux bas ou négatifs : un événement endogène (épuisement naturel du cycle de croissance, manque de productivité) ou exogène (guerre commerciale ou militaire, incertitude politique) peut toujours être un catalyseur de récession. Surtout ces politiques de taux bas nous le savons, favorisent les bulles spéculatives : quand des investisseurs décident que les actifs sont décidément trop chers même avec des taux bas (il y a une limite aux multiples de valorisation que l’on peut payer), ils vendent et suscitent des crises financières. On le voit donc, ce régime permanent de taux bas, qui devrait être avec nous une bonne partie des années 2020, ne nous prémunit en aucune manière de ralentissements conjoncturels. Ce devrait être le grand thème de 2020.
Du fait de l’inefficacité de ces politiques monétaires, nous devrions dès la fin de l’année parler de réorientations de ces politiques. Une intervention directe de la BCE, voire de la FED, dans l’économie productive (via un Green New Deal ou des programmes d’infrastructures) sera le principal combat idéologique de la période 2021-2025, opposant en Europe Mme Lagarde aux ordo-libéraux allemands. Cet affrontement exhibe ses premiers signaux faibles en ce début d’année. Il ne manque à Mme Lagarde que l’appui du président français dont le logiciel mondialiste version années 1990 ne permet pas d’appréhender ce retour de l’investissement public. La question du rôle de l’État, non pas comme État-Providence (fournissant services sociaux et avec d’importants effectifs de fonctionnaires) mais comme État investisseur (l’investissement public ayant quasiment disparu en Europe, notamment dans les infrastructures, la technologie ou l’armement) drainant de sa commande une partie importante du tissu de PME, va devenir cruciale. Si l’Europe honnit toujours les déficits budgétaires, la création monétaire via la BCE serait un moyen de financer ces investissements. À condition que les États soient rigoureux avec la gestion de leurs dépenses de fonctionnements.
La France sans réformes concluantes sera échec et mat
À ce sujet, le président français avancera peu dans ce qu’il avait présenté comme ses réformes structurelles de première partie de mandat : j’y vois au moins trois raisons. La première a trait au caractère vague des promesses économiques en 2017 : la question des retraites l’illustre à merveille puisque derrière cette simple ligne du programme (« nous instaurerons un système universel de retraites à points ») diverses réformes étaient et demeurent possibles, sans qu’aucune ne soit universelle ou efficace justement… Macron devrait se ranger derrière la même ambiguïté sur la baisse de l’impôt sur les sociétés qui tarde à venir. La deuxième raison est bien sur le ralentissement économique mondial, qui est certes inégal selon les zones, mais avéré, avec la croissance mondiale la plus faible en dix ans pour l’OCDE : l’Allemagne et le cœur de l’Europe industrielle sont en zones de récession, nombre de pays européens ralentissent : les États-Unis et la Chine paraissent plus solides mais, locomotives mondiales, elles ne sont pas à l’abri de l’éclatement soudain de bulles spéculatives et donc d’un brusque ralentissement par effondrement du crédit et des investissements.
La France dépendra donc beaucoup de la conjoncture mondiale en 2020, car sa seule économie domestique ne peut plus soutenir une croissance au-delà de 1%. Nous en arrivons ainsi au troisième problème pour le gouvernement : l’échec de sa politique économique en première partie de mandat. Malgré une croissance forte dans le monde en 2015-2018, sur la période, les résultats français ont été décevants en dépit de réformes présentées comme structurelles. Malgré un pic de croissance mondiale, la France aura peu profité de ce cycle haut en comparaison du dernier (2005-2008) avec un chômage qui n’a reculé qu’à 8,6% (contre 7,7% sous Chirac-Sarkozy, et une moyenne en Europe de 6,4%) et dont la baisse paraît enrayée. Le pari macroniste de descendre en dessous des 7% à mi-mandat est définitivement perdu… L’indice PMI Market qui mesure l’activité manufacturière était au dernier trimestre 2019 légèrement supérieur à 50, seuil en deçà duquel on est techniquement en récession manufacturière. En France, le thème de 2020 devrait donc être le renoncement aux promesses de résultats économiques et ipso facto l’enterrement des dernières reforme du programme présidentiel (impôt sur les sociétés, retraites universelles, etc.).