Le scénario d'une présidence RN devient possible. Mais que celle-ci change réellement la donne pour tous ceux qui auront voté en ce sens reste improbable.
Un sondage récent laisse entendre que Marine Le Pen pourrait gravir en 2022 les marches de l'Élysée. Avec 55 % des intentions de vote contre 45, Macron a encore de la marge. Mais des vents de plus en plus furieux soufflent dans les voiles “populistes”, en France et ailleurs. Déjà ils le chahutent ; un mauvais coup du sort et ils peuvent l'emporter. Supposons que ce couple complice autant que rival soit en lice sur le paddock au second tour avec Marine Le Pen qui a compris qu'elle devra lors du débat rituel causer d'immigration, de sécurité, de fins de mois difficiles et de rien d'autre. Cocardisme protecteur contre mondialisme destructeur : la campagne se jouera sur cette thématique. La défaite de Macron reste improbable. Désormais, elle est possible. Imaginons la suite. Le dimanche soir, Marine Le Pen élue a le triomphe modeste. On signale des slogans “nauséabonds” du côté de Beaucaire ou de Bruay-en-Artois, du genre “la France aux Français”. Rien de plus. Le lundi, les médias se répandent sur la “peste brune” propagée par la “bête immonde”, le Cac 40 décroche et du fric passe en douce la frontière, comme en 1981, quand Mitterrand a battu Giscard. Le mardi, on s'étonne : aucune horde casquée et bottée ne déferle sur Paris. Nous aurait-on enfumés, se demande-t-on au bistrot et au boulot ? Le mercredi, le secrétaire général de l'Élysée, aussi énarque que ses prédécesseurs, annonce un gouvernement de transition. La présidence a voulu qu'il soit fade et incolore. Il y a des précédents. La haute fonction publique gère les affaires courantes en attendant les législatives.
Nous y voici. Cent cinquante candidats du RN se font élire sur la lancée de la présidentielle. L'hypothèse d'une majorité bleu marine est exclue car entre-temps un “sursaut républicain” aura été dûment orchestré par un sérail tétanisé, avec la complicité du Medef. Les patrons ont besoin d'immigrés pour contenir les salaires, et plus ils viennent de pays misérables, moins ils sont exigeants. La présidente a beau se précipiter à Bruxelles pour rassurer Mmes Lagarde et von der Leyen, les européistes s'alarment. Leurs experts prédisent des calamités de tous ordres. Refrain usé, qui tombe à plat. Dans un climat d'invectives assorties peut-être de quelques horions, les nouveaux députés prennent place dans l'hémicycle. Une escouade de droitiers modérés, une autre de sociaux-démocrates. Quelques écolos, quelques insoumis, quelques survivants d'En marche ! ayant renoué hâtivement avec leur fond de sauce socialo. Ou libéral. Ça donne une macédoine avec laquelle la présidente peine à concocter une mayonnaise assez comestible pour proposer, au mieux, une “majorité d'idées” anodine !
Résultat de l'imbroglio : il ne se passe rien. Or les gens de peu ont voté Le Pen en espérant qu'il se passerait enfin quelque chose. Ils seront les premiers floués. Leur vote était un exutoire - une catharsis somme toute démocratique qui les maintenait dans les clous comme jadis le vote communiste. Boulots précaires et mal payés, zones suburbaines (ou rurbaines) inhospitalières, sentiment d'exil intérieur (les “territoires”), de dépossession (les flux migratoires) et d'insécurité : ils cumulent toutes les raisons d'avoir la rage au ventre. Imaginons leur exaspération en assistant à un spectacle bien connu des historiens de la IVe République dans sa phase d'agonie : Marine Le Pen, leur porte-étendard, recevant en son palais des politiciens apeurés pour leur proposer Matignon, essuyant leur refus, nommant de guerre lasse un Premier ministre “technicien” dont le gouvernement fantoche explosera au premier avant-projet de loi. Le scénario probable n'est pas du tout l'instauration à la cravache d'un quelconque dérivé du péronisme comme on feint de le croire. Marine Le Pen n'en a pas le goût et n'en aurait pas les moyens. C'est plutôt un remake hors saison de la mauvaise tambouille “républicaine” vomie par l'opinion, quand, en 1957 et 1958, les paras de Salan préméditaient un coup d'État. De Gaulle sut les remettre au pas. Le risque ce coup-ci ne viendra pas d'un galonné, l'armée est légaliste et le restera. Il viendra de la rue et si ça flambe, de Gaulle ne sera pas là pour sauver les meubles.