Une vidéo vue des centaines de milliers de fois sur les réseaux sociaux montre un homme affirmant que le nouveau coronavirus a été créé volontairement par l'institut Pasteur, entre autres théories. A l'appui de ses affirmations, il renvoie vers un brevet déposé en 2004. C'est faux, il concerne un autre type de coronavirus. De surcroît, déposer un brevet relatif à un virus ne signifie pas qu'il a été créé.
"Voila une autre vérité qu'on nous cache concernant le fameux coronavirus", estime un internaute relayant la vidéo sur Facebook, dans une publication du 18 mars partagée plus de 2.000 fois en 6 heures.
On retrouve de nombreuses publications identiques sur Facebook relayant la vidéo. Elle circule sur Whatsapp, Twitter et Youtube où elle a déjà été vue plus de 100.000 fois en 24h.
Nous avons été interrogés à de nombreuses reprises pour vérifier l'authenticité du brevet évoqué dans la vidéo.
Le brevet EP 1 694 829 B1 est authentique (et disponible ici), a confirmé à l'AFP Olivier Schwartz, directeur de l'unité virus et immunité à l'Institut Pasteur.
Mais il porte sur un virus différent du nouveau coronavirus détecté pour la première fois en Chine il y a quelques mois.
"D'abord, on ne brevète pas un virus, mais une séquence de virus", explique Olivier Schwartz, joint par téléphone le 18 mars.
La séquence concernée dans le brevet déposé en 2004 par l'institut Pasteur porte sur une souche du SRAS ("SARS-CoV" de son nom scientifique complet), un autre coronavirus qui toucha 8.000 personnes dans 30 pays en 2002-2003 et fit plus de 700 morts, selon l'Organisation mondiale de la Santé (OMS).
"Il n'y a pas un coronavirus, il y en au moins 7 et donc ce dépôt de séquence correspondait à l'épidémie en 2003, c'est un cousin du virus qui fait l'objet de l'épidémie actuellement", détaille M. Schwartz.
"Le virus responsable de la COVID-19 et celui à l’origine du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) sont génétiquement liés mais ils sont différents", explique le site de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
"Il a 80% de similitudes au niveau de sa séquence avec le virus de 2003, mais ce n'est pas le même", ajoute le directeur de l'unité virus et immunité de l'Institut Pasteur.
Les candidats-vaccins qui avaient été testés dans le brevet déposé en 2004 ne peuvent pas être réutilisés pour le nouveau coronavirus, "à cause de ces différences".
Breveter n'est pas créer !
S'il existe bel et bien des brevets sur des virus qui ont été détectés, cela ne veut pas dire qu'ils ont été créés, contrairement à ce que laisse entendre la vidéo.
Même si le terme de brevet évoque le concept d'invention et porte le nom de "l'inventeur" de ce pour quoi on sollicite un brevet, il faut souligner que le mot "inventeur" à deux sens.
Ainsi, selon le Larousse, un "inventeur" est la "personne qui par son ingéniosité invente, imagine, créé quelque chose d'original : L'inventeur du téléphone" mais aussi celle "qui découvre un trésor, un objet, etc".
Ainsi, quand on parle des "inventeurs" de la grotte de Lascaux, on parle bien des quatre jeunes gens qui l'ont découverte en 1940 et non pas des hommes préhistoriques qui en ont orné les parois.
D'autre part, les dépôts de brevets liés à des virus sont courants, ce sont souvent "juste des déclarations d'invention", explique à l'AFP Vincent Enouf, directeur adjoint du Centre national de référence (CNR) des virus des infections respiratoires de l'Institut Pasteur.
"Il peut y en avoir un brevet sur une technologie, sur un diagnostic, sur plein de choses", poursuit-il, ajoutant qu'il s'agit d'abord de "protéger sa découverte", le temps de publier un article dans une revue scientifique par exemple.
Quand on dépose une demande de brevet, "on décrit sa technique" comme par exemple le fait de choisir tel ou tel zone du génome du virus pour conduire des tests.
L'intérêt de breveter un virus ?
"L'intérêt de breveter c'est de proteger cette séquence pour pouvoir mettre au point des tests diagnostiques et des candidats-vaccins", explique Olivier Schwartz.
Le rôle de l'institut Pasteur, créé en 1888, est précisement de travailler sur les virus émergents pour mettre au point des traitement et des vaccins.
Dans le cas du document déposé en 2004, "on a breveté, ou protégé la séquence, le code génétique, d'un virus isolé au Vietnam à l'époque de l'épidémie de Sras", explique M. Schwartz.
"A l’époque, les équipes de l’Institut Pasteur se sont mobilisées, en proposant plusieurs stratégies vaccinales, dont un candidat-vaccin basé sur la plateforme rougeole (le vaccin rougeole peut être recombiné et utilisé comme un véhicule pour induire une réponse immunitaire contre d’autres agents pathogènes, ici SARS-cov1)", explique l'institut Pasteur dans un démenti publié sur son site le 18 mars.
"Le savoir-faire développé en 2003 contre SARS-cov1, et le candidat-vaccin breveté en 2004, sont actuellement appliqués par les scientifiques concernés pour un projet en cours de vaccin potentiel contre SARS-cov2 (responsable de Covid-19), notamment en utilisant la plateforme rougeole", a-t-on précisé.
Le nouveau coronavirus, qui avait fait plus de 7 813 morts dans le monde le 17 mars 2020 à 19h selon un décompte AFP, continue de susciter un flot ininterrompu de fausses informations largement relayées sur les réseaux sociaux, dans le monde entier.